Evaluation psychologique / psychiatrique préopératoire en chirurgie de l’obésité

L’évaluation préopératoire par un psychologue ou un psychiatre est un passage obligatoire aujourd’hui. Nous allons ici aborder les raisons, les objectifs, les moyens à disposition pour réaliser une évaluation de qualité. Lors du repérage d’un trouble pouvant être l’objet d’une contre-indication temporaire, l’objectif est sa prise en charge précocement et non le rejet de la chirurgie de manière définitive. L’objectif est en effet que l’intervention se passe bien mais également que l’évolution post-opératoire soit favorable au patient. C’est un regard porté au patient de manière longitudinale, globale et multidimensionnelle et constitue donc un paramètre important pour une réussite à long terme de l’intervention. Rappelons qu’au-delà d’être un trouble métabolique, l’obésité peut également être un trouble psychique, notamment en raison de sa dimension multifactorielle.

Pourquoi cette évaluation en systématique ?

Fréquence des troubles

La fréquence des troubles psychiatriques est plus élevée chez les patients atteints d’obésité qu’en population générale. Ce point est observé indépendamment des traitements psychotropes qui peuvent avoir un impact sur le poids. Il est montré que cette prévalence est d’autant plus forte chez des candidats à la chirurgie de l’obésité : entre 40 à 70% ont au moins un antécédent de trouble psychiatrique sur la vie entière et entre 20 et 50% des patients ont un trouble psychiatrique actuel au moment de l’évaluation pré-opératoire (2). Concernant les troubles addictifs, il s’agit surtout de l’alcool en usage nocif ou dépendance. Dans le cadre de l’évaluation de la personnalité, l’axe est porté sur le cluster anxieux (dépendante, évitante et obsessionnelle compulsive) ainsi que le trouble borderline (2).

Contre-indication temporaire ou définitive à la chirurgie

Les contre-indications psychiatriques peuvent être temporaires ou définitives. Sur les 7 contre-indications dans les recommandations de bonne pratique de la HAS, 4 concernent l’évaluation psychologique : troubles sévères et non stabilisés du comportement alimentaire, dépendance à l’alcool et substances actives licites ou illicites, les troubles cognitifs ou mentaux sévères et l’incapacité prévisible à participer à un suivi médical prolongé (notamment lors d’un trouble de la personnalité).

En cas de contre-indication, l’objectif est de repérer les troubles pour proposer une prise en charge appropriée avec à terme l’objectif de pouvoir envisager à nouveau une chirurgie en fonction de l’évolution de la symptomatologie (1). Il est important que la nouvelle évaluation soit cependant réalisée par un autre professionnel que celui qui a réalisé le suivi.

Certaines situations sont à considérer avec une attention toute particulière : le cas des troubles graves de la personnalité, des difficultés de compréhension des consignes pré et post opératoires, une addiction non sevrée, un trouble bipolaire, une schizophrénie ou autre trouble délirant. Il sera judicieux de bien analyser la capacité du patient à accepter une intervention irréversible nécessitant un suivi prolongé et sa capacité d’observance à vie. Les patients dont les pathologies ont été précédemment évoquées ne peuvent être candidats à la chirurgie que s’ils sont régulièrement suivis par une équipe de psychiatrie et que leur trouble est stabilisé. Ce point est un préalable à la réflexion pluridisciplinaire.

La personnalité est un prédicateur important de l’observance chez le patient souffrant de maladie chronique (3).
Dans le cas d’un trouble lié à l’usage de l’alcool, une rémission prolongée est indispensable, car en post-opératoire, le risque de trouble lié à l’alcool est majoré.

Facteurs de risque de moins bonne évolution

Les troubles psychiatriques sont des facteurs de moins bonne évolution post-opératoire. Les patients présentant un état dépressif ou une hyperphagie boulimique en post-opératoire perdent significativement moins de poids que les autres patients. Le plus robuste des facteurs prédictifs d’une moindre perte de poids est le trouble de la personnalité.

Attention, si la chirurgie peut améliorer l’intensité dépressive et le bien-être psychologique, elle s’accompagne d’un risque de décompensation psychique. On retrouve l’augmentation du risque d’addiction et du risque suicidaire. Le risque suicidaire et de passage à l’acte auto-agressif est 4 fois supérieur à celui de la population générale chez le patient présentant une obésité (8) et de nombreuses études montrent que ce taux est d’autant plus élevé si le patient a eu recours à une chirurgie de l’obésité. L’anxiété en pré-opératoire est inchangée en post-opératoire ou peut selon certaines études se majorer en post-opératoire (à plus ou moins long terme) même si ce point continue d’être étudié. Ce risque touche également les troubles du comportement alimentaire qui peuvent se déclarer suite aux modifications alimentaires induites par la chirurgie.

De plus, en terme d’image du corps, principalement quand la perte de poids est brutale en post-opératoire, le patient se retrouve face à une modification de son schéma corporel qui peut être violent et mal vécu. Souvent, il se regarde davantage dans le miroir, et va observer une dimension négative (notamment sur la peau) et peut avoir l’impression de ne pas se reconnaitre. Certaines patientes verbalisent même préférer leur corps d’avant, se sentir différentes, telle une carapace envolée qui ne les protège plus. Cela change également le rapport au corps, notamment dans le couple. Les études ont montré que le risque de séparation dans un couple marié est augmenté (8) et les rapports amicaux peuvent également être modifiés voire rompus (point qui se travaille en atelier d’éducation thérapeutique).

L’amélioration de la qualité de vie n’est pas systématiquement corrélée à l’intensité de la perte de poids, en particulier pour la qualité de vie sexuelle ou le bien-être alimentaire.

Le piège est donc de croire que la chirurgie va résoudre tous les problèmes psychologiques. Nombreux sont les patients qui le pensent sincèrement et le verbalisent, ce qui peut influencer les professionnels, mais la clinique et le suivi de ces patients à moyen et long terme montre que dans de nombreux cas, c’est un leurre comme nous venons de l’expliquer ci-dessus.

Quel cadre pour l’évaluation préopératoire ?

Cette évaluation peut pour certains patients être sensible, difficile dans l’approche, créer des défenses, des résistances. Afin qu’elle se passe bien, les enjeux apparaissent avant même la prise de rendez-vous avec le « psy ». Dès la consultation avec le chirurgien, il est important que celui-ci la présente de manière positive, en rappelant son intérêt. Ce dernier lui rappelle qu’il doit contacter un psychologue ou un psychiatre connaissant bien la problématique, et/ou lui remettre une liste de contacts afin qu’il ne se sente pas dans un sentiment de « vide », en insistant sur le fait qu’il peut contacter à sa guise un autre professionnel (lui laissant le sentiment de choix et de contrôle). Idéalement, il s’agit d’un membre de l’équipe pluridisciplinaire mais cela n’est pas toujours possible et recourir à un professionnel libéral survient très régulièrement.

Cette évaluation prend du temps, en moyenne 60 minutes. Si le patient est déjà suivi, cela ne doit pas être le même praticien qui réalise l’évaluation pré-opératoire. Le patient doit venir seul au rendez-vous afin de s’assurer de la motivation intrinsèque du patient. Ensuite, un courrier est rédigé à l’attention du médecin avec les conclusions et spécifications suivantes : contre-indication psychiatrique ? Si oui, est-elle relative ou absolue ? Existe-t-il un trouble psychiatrique actuel ou passé ? Existe-t-il des TCA actuels ou passés ? Quelles sont les propositions de prise en charge pré-opératoire et de suivi ? On y ajoutera tous les éléments importants pouvant avoir un rôle sur la prise en charge chirurgicale ou l’évolution post-opératoire. Il est d’autant plus important de fournir un compte rendu complet si l’intervenant ne fait pas partie de l’équipe pluridisciplinaire. En effet, le professionnel ne sera pas présent en réunion de concertation pluridisciplinaire et les membres de l’équipe ont besoin de ces informations pour évaluer la situation du patient et décider des meilleures indications pour le patient.

Lorsque les avis entre deux professionnels divergent, il est important de ne pas hésiter à demander une seconde évaluation à distance ou solliciter une consultation conjointe psy-équipe pluridisciplinaire, et ce, tout particulièrement en ce qui concerne les TCA. Comme mentionné ci-dessus, les patients peuvent consciemment ou inconsciemment mettre en place des mécanismes de défense ou s’abstenir de donner des informations alors que celles-ci sont clés et peuvent amener une discussion sur la situation. Il est aisé de se représenter les freins à évoquer une difficulté avec l’alcool avec la crainte du jugement ou de l’image négative que cela peut renvoyer (désirabilité sociale) ; à évoquer une dépression passée ne voulant pas revenir sur des émotions et/ou des situations encore sensibles…

Quels objectifs et quels moyens : évaluation psychopathologique et de personnalité

Cette évaluation est l’occasion de repérer les troubles psychiatriques actuels et passés pour les contre-indications absolues ou ponctuelles. Il permet d’identifier les autres dimensions psychopathologiques pouvant contribuer à une moindre perte de poids, de qualité de vie, d’observance, de difficulté d’adhésion à un suivi à long terme. Favoriser le développement d’une alliance thérapeutique permet notamment de déstigmatiser le recours au psychologue ou psychiatre pour qu’il se sente plus à l’aise pour demander de l’aide si besoin.

Cet entretien sert à aider le patient à comprendre les problématiques auxquelles il est confronté, anticiper les suites post-opératoires en proposant et/ou organisant le suivi personnalisé. Y est associée une démarche empathique globale avec le patient, le but n’étant pas de le dissuader mais bien de l’accompagner dans sa démarche et permettre une évaluation fiable des facteurs de vulnérabilité. Le moment pré-opératoire est celui où il sera le plus facile d’identifier les difficultés d’adaptation car le patient n’est pas encore « monopolisé » par la gestion de l’intervention et de ses conséquences.

Il est possible d’utiliser des outils psychométriques à partir du moment où le praticien maitrise l’interprétation de ceux-ci. Il est important de rappeler que les auto-questionnaires ne permettent pas de poser un diagnostic mais d’étayer, de préciser, spécifier un diagnostic. Il ne se substitue pas à l’entretien clinique qui vient analyser l’ensemble des résultats avec une vue et analyse globale du patient. Il est possible par exemple de citer : la HAD pour l’anxiété et la dépression, le BSQ pour l’image du corps, l’EQVOD pour la qualité de vie, l’échelle de Rosenberg pour l’estime de soi, une sélection du SCID II pour les personnalités les plus concernées en tant que facteurs de prédiction négative, l’EDI II pour les troubles du comportement alimentaire et les facteurs associés, et envisager des évaluations plus spécifiques en fonction des problématiques émergeantes au cours de l’entretien clinique…

Synthèse :

Présentation de l’autrice : Stéphanie Bailleux

Stéphanie Bailleux est psychologue clinicienne spécialisée en Thérapie Cognitive et Comportementale notamment en médecine comportementale et du deuil pathologique. Après des expériences hospitalières à la Pitié-Salpêtrière autour de pratiques thérapeutiques innovantes dans les Troubles Obsessionnels Compulsifs, à Tarnier (Cochin) en psychiatrie et à Corentin Celton en alcoologie, Stéphanie exerce aujourd’hui dans son cabinet au Vesinet (78) en parallèle de son activité hospitalière.

C’est en sa capacité de Psychologue et d’éducatrice thérapeutique sur le CHP de l’Europe, établissement labellisé « CSO » par l’ARS en 2012, qu’elle est impliquée dans les missions du CSO Île-de-France ouest, notamment par la communication des bonnes pratiques de prise en charge de l’obésité

 

Bibliographie :

  1. Brunault P., Gohier B., Ducluzeau PH. (2016). L’évaluation psychiatrique, psychologique et addictologique avant chirurgie bariatrique. Presse Med, 45, 29-39
  2. Malik S., Mitchell JE. (2014). Psychopathology in bariatric surgery candidates : a review of studies using structured diagnostic interviews. Compr Psychiatry, 55, 248-59
  3. Axelsson M., Brink E., Lundgren J. (2011). The influence of personality traits reported adherence to medication in individuals with chronic disease : an epidemiological study in West Sweden. PloS One, 6, e18241
  4. Fournis G., Denès D., Mesu C. (2014). Obesite et bypass gastrique, impact sur la qualité de vie et le risque suicidaire : revue de la littérature. Ann Med Psychol (Paris), 172, 721-6
  5. Peterhänsel C., Petroff D., Klinitzke G. (2013). Risk of completed suicide after bariatric surgery : a systematic review. Obes Rev, 14, 369-82
  6. Bouvard M., Cottraux J. (2010). Protocoles et échelles d’évaluation en psychiatrie et psychologie. Issy Les Moulineaux : Masson
  7. Castaneda D., Popov VB, Wander P, Thompson CC. Risk of suicide ans self-harm is increased after bariatric surgery – a systematic review and met-analysis. Obes Surg. 2019
  8. Bramming M., Hviid SS, Becker U, Jorgensen MB. Changes in relationship status following bariatric surgery. Int J Oes (Lond) 2021 jul ;45(7) :1599-1606
  9. Poupard L. (2022). Etat des lieux des pratiques concernant l’évaluation psychosociale des patients candidats à la chirurgie bariatrique (Thèse de doctorat) Paris